Ines, le sésame qui ouvre la porte au flicage
Le projet de carte d'identité biométrique met vent debout les associations.
«Inepte, nocif, effrayant, scélérat». Les associations de défense des droits de l'homme et des libertés n'ont pas de mots assez forts pour fustiger l'Ines, la future carte d'identité nationale électronique sécurisée. Hier, lors d'une conférence de presse, elles ont demandé le retrait de ce projet de document payant et obligatoire, doté d'une puce avec données biométriques (faciales et digitales) et adresses actualisées des citoyens. Elles ont aussi lancé une pétition contre ce texte que Dominique de Villepin prévoit de présenter fin juin en Conseil des ministres. Sans même attendre les résultats du débat public commandé à Forum des droits sur l'Internet , le ministre de l'Intérieur l'a fait valider le 11 avril dernier par le Premier ministre. La Cnil Commission nationale informatique et libertés émet d'ores et déjà les plus grandes réserves (Libération du 21 avril).
«Vide-poches». Ce futur sésame contiendrait l'état civil, la photographie numérisée et les empreintes digitales. Chaque élément serait conservé dans un fichier national informatisé. Outre «ces fonctions d'identification sécuritaire», soulignent les associations anti-INES, le ministère lui confère un côté «commode, utile» de signature électronique, d'authentification pour transactions commerciales, de «vide-poches personnel pour y placer, à sa guise, code de carte bancaire ou d'accès à des services d'Internet, numéro fiscal, etc.», «afin de faire passer la pilule». Sous couvert de lutte contre le terrorisme, l'immigration clandestine et la fraude à l'identité, «le gouvernement entend constituer un grand fichier de la population pour un contrôle généralisé très orwellien. Il banalise des éléments biométriques très intimes des citoyens et rend les déclarations de changements de domicile obligatoires, du jamais vu depuis la Libération ! » selon Michel Tubiana, président de la LDH. Pour des raisons historiques liées à la déportation des juifs, la France n'a jamais exigé d'actualiser les adresses.
Pour justifier sa carte Ines, le ministère de l'Intérieur invoque des obligations internationales et européennes dictées par les attentats du 11 septembre. Or, les Etats-Unis imposent un «seul élément biométrique de reconnaissance faciale dans le passeport», souligne Meryem Marzouki d'Iris.
Brevets. Le règlement de l'Union européenne du 13 décembre 2004 en a ajouté un second, l'empreinte digitale, sur les «documents de voyage», pas sur les cartes d'identité nationales et «ne stipule pas de les centraliser dans des bases informatisées». La France en rajoute donc. De plus, si l'UE a retenu un second élément biométrique, «c'est sur pression de la France, notamment, qui a choisi les empreintes digitales, pour des raisons davantage économiques que culturelles, deux entreprises françaises, Sagem et Thales, étant championnes en la matière». Sagem a en effet déjà développé le logiciel du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) de la police judiciaire française qui contient les empreintes de 1,9 million de délinquants et criminels. Le ministère de l'Intérieur a ainsi renoncé à utiliser l'iris de l'oeil qui relève de brevets américains et table sur les traditionnelles empreintes digitales que les Français ont déjà l'habitude de donner lorsqu'ils font une demande de carte d'identité. A la différence majeure que les empreintes n'étaient jusque-là ni numérisées ni fichées au plan national. Elles restent «encrées» sur un document dans le dossier en préfecture. Le projet Ines vise désormais à les conserver dans la puce et à les «centraliser dans un fichier dactyloscopique général qu'ils vont croiser avec le Faed, réservé aux mis en cause par la justice. A partir de traces digitales retrouvées sur les lieux d'un délit, les OPJ (les officiers de police judiciaire, ndlr) pourront chercher dans le fichier de masse des citoyens à qui elles correspondent». Telle n'est pas la finalité affichée par le ministère de l'Intérieur, qui insiste sur la fraude aux prestations sociales et les falsifications de papiers d'identité, chiffrées à 9 000 en France en 2004.
«Suspects». Pas besoin d'une carte Ines, selon Claude Jacquemin du Syndicat de la magistrature, pour contrer les vols de documents vierges et les usurpations d'identité : «Une transmission directe des actes de naissance entre les mairies et les préfectures constituerait une simplification administrative pour l'usager et une garantie contre l'obtention frauduleuse de documents, critique Claude Jacquemin. Les auteurs d'attentats utilisent généralement leur propre identité. Le terrorisme et la fraude ne sont que des alibis pour intensifier les contrôles d'identité et les rendre indolores, accuse-t-il. La puce de la carte Ines étant lisible à distance, sans devoir l'insérer dans un lecteur (comme la carte Navigo de la RATP, par exemple), on remplace les policiers par des bornes et l'Etat peut ainsi contrôler les personnes à leur insu. »
Ejecté aussi l'argument de «l'infaillibilité» de la carte Ines que les autorités ont déjà servi pour la carte actuelle dite Pasqua et les nouveaux billets en euros prétendument «infalsifiables» eux aussi.Pour Michel Tubiana, le gouvernement doit renoncer à son projet de loi Ines qui ne «respecte pas le principe de proportionnalité entre les objectifs et le respect des libertés individuelles» et «relègue 60 millions de citoyens au statut de suspects».
Par Patricia TOURANCHEAU
vendredi 27 mai 2005 (Liberation - 06:00)
source
Il y a pas que l'ex soixante-huitard revanchard qui se rebelle.
Ps: Ma chasse d'eau à été changée...